Une mémoire européenne commune : Exposer la violence : les premières expositions sur l’occupation nazie en Europe, 1945-1948
À partir du 24 mai 2025 au Musée d’histoire allemande. En coopération avec le Centre de documentation « Seconde Guerre mondiale et occupation allemande en Europe »
Au plus fort de sa domination, l’Allemagne nazie régnait sur la quasi-totalité de l’Europe. Environ 230 millions de personnes dans (actuellement) 27 États subirent l’occupation allemande. De quelle manière les sociétés d’après-guerre de ces pays abordèrent-elles l’expérience de la violence et de l’extermination provoquée par la Seconde Guerre mondiale et l’occupation nazie ? Les expositions organisées au sortir de la guerre dans toute l’Europe constituèrent un outil de réflexion jusque-là négligé, mais historiquement important. En des temps marqués par la détresse sociale, l’instabilité politique, la persistance de la violence et des perspectives d’avenir floues, elles cherchèrent à documenter et à visualiser les répercussions de la Shoah et des crimes nazis. Avec « Exposer la violence. Les premières expositions sur l’occupation nazie en Europe, 1945-1948 » (24.5-23.11.2025), le Musée historique allemand (Deutsches Historisches Museum, DHM) retrace pour la première fois l’histoire de ce phénomène paneuropéen à la lumière des premières expositions organisées à Londres, Paris, Varsovie, Liberec et Bergen-Belsen. L’exposition actuelle est le fruit d’une coopération avec le Centre de documentation « Seconde Guerre mondiale et occupation allemande en Europe ». Le projet part du principe qu’une mémoire européenne commune, et par conséquent un avenir européen commun, repose essentiellement sur la connaissance partagée de l’histoire de l’occupation allemande.
Raphael Gross, président de la Stiftung Deutsches Historisches Museum : « La violence de l’occupation allemande a laissé des traces profondes dans les pays européens. De nombreux crimes sont pratiquement inconnus en Allemagne. S’en souvenir fait partie de la responsabilité historique de l’Allemagne et constitue une condition préalable pour réagir aux enjeux contemporains. Dans un monde où la falsification de l’histoire et de nouvelles guerres remettent en question l’ordre européen et mondial, il est capital de transmettre des connaissances historiques. Il est ainsi crucial pour le présent et le futur de l’Europe d’avoir une approche commune de l’histoire – nous devons activement y contribuer, nous appuyer sur les sources et les faits et rassembler des perspectives différentes. C’est précisément cela que nous voulons promouvoir dans le futur Centre de documentation et dans notre exposition, qui en est le premier projet commun. »
Agata Pietrasik, commissaire de l’exposition : « Les expositions sont par définition des événements limités dans le temps, dont les traces sont éparpillées dans les archives et les collections des musées. Notre tâche a consisté à sauvegarder ces traces et à faire en sorte qu’on puisse à nouveau se représenter les expositions d’autrefois, non pas pour les reconstruire ou les revivre, mais pour donner au public d’aujourd’hui la possibilité d’imaginer leurs espaces et leurs scénographies, de se confronter aux objets qu’elles montraient et de comprendre leurs diverses trames narratives. Nous voulions également offrir une visibilité aux personnes qui ont œuvré à ces premières expositions, recueillir les témoignages de leurs visiteuses et visiteurs et créer un espace de réflexion critique sur les contenus et les contextes de l’époque. »
Dans l’immédiat après-guerre, le médium de l’exposition offrit une réponse efficace à la question pressante de savoir comment raconter les crimes allemands sans précédent et comment transmettre cette histoire à un vaste public. À partir de 1945, ces premières expositions sur le passé récent attirèrent des centaines de milliers de visiteuses et de visiteurs en Europe de l’Est comme de l’Ouest. Elles furent organisées par des organismes d’État et des commissions chargées d’enquêter sur les crimes de guerre aussi bien que par des groupes formels et informels de rescapés de la Shoah et des associations d’anciens détenus politiques. En s’appuyant sur des photographies, des films, des œuvres d’art, des documents et d’autres objets, les commissaires des différents pays racontèrent leur propre histoire de la guerre et de l’occupation. Ils créèrent des espaces d’information, de même que des lieux de commémoration et d’accusation. Le public eut ainsi la possibilité de concevoir ses expériences comme faisant partie intégrante d’une histoire collective de la violence, de partager des savoirs et des émotions, mais aussi de se tourner vers l’avenir. Ces examens transnationaux des crimes commis par les nazis pendant l’occupation prirent subitement fin en 1948 alors que se dessinait le climax de la guerre froide. Les premières expositions tombèrent dans l’oubli. Pourtant, elles marquent la mémoire et la commémoration de l’occupation allemande jusqu’à ce jour.
Londres – Paris – Varsovie – Liberec – Bergen-Belsen
La commissaire Agata Pietrasik propose de se pencher sur six expositions organisées entre 1945 et 1948, qui mirent en lumière les scénarios nationaux d’occupation en Pologne, France et Tchécoslovaquie et leurs différences profondes, les expériences de guerre en Grande-Bretagne, alliée occidentale non occupée, et les expériences de la persécution et des meurtres de masse subies par les personnes juives déplacées (Displaced Persons) dans le camp de DP de Bergen-Belsen. Par-delà leur diversité et leur complexité, ces expositions pionnières confrontèrent toutes sans ménagement le public à la violence de masse des nazis et le sensibilisèrent à la dimension européenne des crimes allemands.
C’est ainsi que l’exposition de photographies londonienne, « The Horror Camps » (Les camps de l’horreur), placée sous la devise « Voir c’est croire », montra dès le 1er mai 1945 de terribles clichés des camps de concentration récemment libérés par les Alliés dans la salle de lecture du Daily Express. Ils furent aussi utilisés ultérieurement comme preuve dans les salles d’audience européennes. L’exposition itinérante française « Crimes hitlériens », inaugurée en juin 1945 au Grand Palais, à Paris, tenta de procéder à un premier examen critique de la collaboration du régime de Vichy. Simultanément, de premières ébauches de récit européen sur l’occupation allemande émergèrent. Dans son exposition itinérante « Warszawa oskarża » (Varsovie accuse) présentée en 1945 dans les décombres de Varsovie, le Musée national jeta un regard aussi bien sur la destruction du patrimoine national que sur la reconstruction de la capitale polonaise. Trois ans plus tard, la première exposition permanente sur la persécution et l’extermination des Juifs polonais ouvrit ses portes à l’Institut historique juif sous le titre « Martirologye un kamf / Martyrologia i walka » (Martyrologie et combat). En Tchécoslovaquie, alors même que l’expulsion de la population allemande battait son plein, le Památník nacistického barbarství (Mémorial sur la barbarie nazie) fut inauguré en 1946 à Liberec (Reichenberg). Les commissaires reconstituèrent des lieux majeurs des crimes allemands dans la villa même où le Gauleiter nazi, Konrad Henlein, avait élu domicile après en avoir chassé une famille juive, les Hersch. En 1947, l’une des plus grandes expositions organisées dans un camp de DP, intitulée « Undzer veg in der frayhayt » (Notre chemin vers la liberté), se déroula à Bergen-Belsen. Des personnes juives rescapées y montrèrent leur vision de la catastrophe subie, documentèrent la renaissance de la vie juive et éclairèrent la persistance de l’antisémitisme dans l’Allemagne d’après-guerre.
Ruptures et continuités
L’exposition du DHM se concentre sur les différents contenus et formes à l’aide desquels ces exhibitions percutantes de l’après-guerre évoquèrent les violences, la résistance, les criminelles et bourreaux ainsi que la perte du patrimoine culturel. Historienne de l’art, Agata Pietrasik analyse les langages visuels de l’époque en les réinscrivant dans leurs divers contextes locaux et nationaux, et procède à une comparaison des sources. Elle met ainsi en lumière les trames interprétatives sur le passé immédiat de la guerre et les multiples conceptions de l’avenir qui soustendent ces présentations de la première heure. L’exposition du DHM explore aussi la motivation et les perspectives spécifiques des organisateurs et organisatrices de l’époque et étudie l’impact de ces accrochages, dont une partie fit le tour de l’Europe. Ce faisant, elle ne se contente pas de dévoiler ce que les commissaires montrèrent et ce qu’ils occultèrent, mais révèle des continuités qui forgent jusqu’à ce jour, et parfois brouillent, la présentation de l’histoire de la violence allemande en Europe, son souvenir et sa commémoration.
Sur près de 400 m² au rez-de-chaussée du bâtiment Pei, on pourra voir quelque 360 objets provenant d’Allemagne, de France, de Grande-Bretagne, d’Israël, de Pologne et de la République tchèque, dont 80 originaux. On y découvrira notamment des panneaux et des livres d’or des expositions de l’époque, des photographies de ces expositions, dont certaines montrées ici pour la première fois, des films, des livres, des documents, des cartes géographiques, des œuvres d’art et des affiches. Des bornes audio et vidéo font revivre les réactions du public d’alors. Des interviews donnent la parole à des spécialistes de musées, à des descendants de personnes ayant contribué aux premières exhibitions ou à des représentants de catégories de victimes peu représentées à l’époque. En complément, un catalogue, publié en allemand et anglais et comprenant 15 essais d’expertes et d’experts du monde entier ainsi que de nombreuses illustrations, paraît aux éditions Ch. Links.
Programme européen en marge de l’exposition, visites et cycle de films
Un programme culturel conçu par le Centre de documentation « Seconde Guerre mondiale et occupation allemande en Europe » approfondit l’étude des réactions immédiates à l’occupation allemande et à son régime de terreur en Europe. Du mois de mai au mois d’octobre 2025, le cycle européen de manifestations « Facing Nazi Crimes: European Perspectives after 1945 » aborde les différents contextes sociaux et historiques sur les lieux des premières expositions : quels échos et quelles répercussions eurent les expositions ? Les conjonctures entourant ces entreprises souvent transnationales seront présentées et discutées avec des expertes et des experts d’institutions locales au cours de six soirées. Le cycle sera diffusé en ligne, puis consultable sur le site Internet du DHM.
Tout au long de sa durée, des expertes et des experts ayant posé de nouveaux jalons dans la présentation muséale des crimes nazis proposent régulièrement des visites guidées de l’exposition berlinoise ainsi qu’une réflexion sur le rapport entre « l’exposition de la violence hier et aujourd’hui ».
En marge de l’exposition, le Zeughauskino présente en mai et juin 2025 la rétrospective « Témoigner et raconter. Les premières images des camps libérés », en coopération avec le ZWBE et le projet de longue durée du DFG, intitulé « Les images qui ont des conséquences – une archéologie des films cultes de l’époque nazie ».
Le Centre de documentation « Seconde Guerre mondiale et occupation allemande en Europe »
Entre 1939 et 1945, l’Allemagne sema la privation de droits, la souffrance, la destruction et la mort dans une grande partie de l’Europe. La conduite de la guerre, de même que les relations avec la population civile furent hautement criminelles. La Shoah comme le génocide des Sintis et des Roms furent sans précédent dans l’histoire. Dans les anciens territoires occupés, les stigmates de la violence se font sentir jusqu’à aujourd’hui. Pour retracer et remémorer ces événements, le Bundestag a décidé de fonder à Berlin un centre de documentation et en a confié la mise en œuvre au DHM. Le futur Centre rendra compte de la dimension européenne de l’occupation allemande et offrira un espace de commémoration. L’expérience des victimes, en particulier des groupes qui n’ont pas fait l’objet d’une grande attention jusque-là, sera au cœur de sa mission.
Informations supplémentaires sur : dhm.de/zwbe

Vue de l’exposition «Warszawa oskarża» (Varsovie accuse), Muzeum Narodowe w Warszawie (Musée national, Varsovie), 1945
Photo: Muzeum Narodowe w Warszawie